9 comme NEUF
Des bouts d'écriture qui mis bout à bout feront peut-être un jour un livre ~(^-^)~
… suite newsletter “De guerre en guerre”
Pour qui veut y voir une symbolique, le chiffre 9 se prononce « Jiu » en chinois comme le mot « longtemps ». Il est assimilé à la renaissance, au recommencement, à la longévité, l’éternité. Il correspond ainsi à la fin d’un cycle et le début d’un nouveau : NEUF.
Comme si la vie avait voulu s’assurer que cette 9ième fois me permette de faire un vrai saut quantique, elle a choisi de me mettre dans une situation qui a poussé la guerrière que je suis dans ses retranchements pour prendre enfin conscience de cet esprit de la guerre entretenu par un ego peureux qui n’a de cesse de diviser pour mieux régner.
Mercredi 23 septembre 2020, il est 23 h, après un appel téléphonique de ma sœur, nous prenons la route en catastrophe pour nous rendre aux urgences de l’hôpital Purpan à Toulouse. Ma Maman vient d’y être admise : traumatisme crânien, pronostic vital engagé, c’est une question de minutes, d’heures… Je suis effondrée… Les 2 heures de route se passent derrière un rideau de larmes et tout mon corps soulevé par ce tsunami…
Arrivés dans la chambre, je vois ma sœur et un de mes neveux au chevet de ma Maman. Je m’approche et je la vois allongée les yeux fermés. Je commence à lui parler et je la vois hocher la tête. Elle semble nous reconnaître alors que l’équipe médicale l’avait diagnostiquée dans une forme d’inconscience. Le scanner de son cerveau révélait un hématome important côté gauche dû probablement à une chute. Elle allait mourir d’un instant à l’autre. Dans l’état comateux diagnostiqué par les médecins, plusieurs indices nous ont indiqué qu’elle nous reconnaissait et réagissait positivement aux noms des personnes de la famille.
Après avoir changé de chambre 3 fois en l’espace de 2 jours, elle est finalement placée en soins palliatifs dans le service gériatrie. Donnée pour mourante, nous avions l’impression que notre Maman avait été oubliée par l’équipe médicale qui ne savait trop quoi en faire… elle « devait » mourir vite et elle ne mourrait pas… et c’est sans doute ce cadeau aussi qu’elle nous a fait avant de partir le 110ième jour après son accident.
Il y a eu beaucoup d’incompréhensions et de confusions entre l’équipe médicale et nous. Nos rapports étaient extrêmement tendus ce qui n’a fait que renforcer et notre inquiétude et notre manque de confiance. Comme fait exprès, tout ce que nous craignions se réalisait.
Comme le pronostic vital de notre Maman était engagé, nous avions une dérogation pour pouvoir être à son chevet toute la journée malgré les restrictions liées à la crise sanitaire de la covid-19. La première semaine après son admission, nous nous sommes relayées ma sœur et moi auprès d’elle. La famille, ses amies sont venues la voir sans relâche. Entourée de nos soins intensifs, elle a rouvert les yeux, reconnu tout le monde, parlé même si nous pouvions observer que cela la fatiguait. Mais elle était là, vivante et communicante et nous avions toutes les raisons pour nous réjouir et espérer en dépit de tous les pronostics médicaux. Sauf une faiblesse sur le bras droit, elle avait toujours la motricité de tous les autres membres. Quand elle a pu manger des compotes et des préparations basées sur les principes de la macrobiotique que lui préparait une de ses amies, il ne faisait aucun doute qu’elle pourrait récupérer partiellement en tout cas.
Nous avons souhaité qu’elle puisse être hospitalisée à domicile et nous sommes embarquées dans un imbroglio administratif. Au bout d’une semaine, l’équipe médicale nous a informées qu’il n’était plus possible de voir notre Maman - crise sanitaire ? - Notre inquiétude n’a fait qu’augmenter car nous avons bien vu que les équipes étaient débordées et ne pourraient pas apporter ce même soin et cette même attention à notre Maman. Elle avait fait des progrès et semblait se remettre petit à petit grâce à notre présence auprès d’elle.
Nous avons dû nous résoudre à ne plus voir notre Maman, faire confiance à une équipe médicale. Nous avons appelé chaque jour pour avoir des nouvelles mais les informations étaient très succinctes « elle va bien »; « elle n’a pas mangé » - Nous entendions seulement qu’elle était seule sans pouvoir s’exprimer et qu’elle dépérissait… A chaque fois que nous demandions des informations plus précises nous avions l’impression d’embêter, de déranger ou d’embarrasser. Puis, lors d’un n-ième appel pour avoir enfin quelqu’un qui décroche, nous nous sommes entendues dire de ne plus appeler.
Entre-temps, nous avons remué ciel et terre pour sortir notre Maman de l’hôpital et qu’elle rentre chez elle où nous pourrions nous occuper d’elle. L’idée était qu’elle puisse reprendre des forces pour pouvoir intégrer un centre de ré-éducation. Nous avons trouvé sur la commune où habite notre Maman une équipe médicale formidable d’infirmières, kinésithérapeutes et orthophoniste. Ma sœur a posé des congés sans solde pour s’occuper de notre Maman. Je prenais le relais le week-end à partir du jeudi soir jusqu’au dimanche matin. Tout était en place pour l’accueillir.
Nous l’avons « récupérée » une semaine plus tard après un parcours administratif compliqué… Son état s’était dégradé.
Deux ou trois jours après son retour chez elle, elle a perdu la déglutition. Elle ne pouvait plus s’alimenter.
Notre projet de la voir se remettre s’est petit à petit amenuisé. Le projet médical s’est transformé en un accompagnement de fin de vie.
Après l’espoir des premiers jours après son hospitalisation et jusqu’à son arrivée à la maison, nous étions à nouveau dans la même situation que lorsqu’elle est arrivée aux urgences : elle allait mourir… bientôt… Elle bénéficiait d’un sursis… médicalement incompréhensible.
Peut-être n’y avait-il rien à comprendre juste que nous avions la chance d’avoir le temps de lui dire au-revoir.
Elle est restée avec nous jusqu’au bout de son corps que nous avons vu petit à petit s’amaigrir pour s’éteindre le 110 ième jour après son accident… le 9 janvier 2021… 10 jours avant son 80 ième anniversaire.
110 jours de guerre déclarée contre tout et le monde entier entre imbroglio administratif, équipe médicale, système de santé, angoisse des uns, colère des autres, agacement… Il faut dire que ce type de situation s’y prête plus qu’aucune autre. Dans la recherche de ce qu’il y a de plus pertinent et de mieux pour notre Maman, chaque décision devenait lourde de conséquences possibles, potentielles.
Je voyais ma sœur extrêmement tendue, agitée. Elle avait pris les rennes pour se renseigner, tout organiser, tout gérer, tout anticiper, tout savoir, tout contrôler. J’imagine que c’était une façon pour elle de se rassurer et peut-être aussi ne pas se laisser submerger par sa peine et son impuissance face à une situation qui lui échappait.
Je ne savais plus que faire pour aider, soulager, partager, car rien de ce que je pouvais faire, dire, proposer n’était convenable à ses yeux ce qui me mettait hors de moi et je ne tardais jamais à éclater malgré toutes mes préparations silencieuses pour ne pas céder, rester dans l’union, l’unité au nom et pour notre Maman. Tout semblait prétexte pour nous diviser. Je souffrais plus de ne pas pouvoir être unie avec ma sœur et profiter des derniers instants de notre Maman ensemble que de perdre ma Maman qui reste douloureux mais sur ce fait j’avais complètement lâcher prise. Dans notre discorde sourde, nous avons eu la chance d’être soutenues par toute la famille, les sœurs de ma Maman, ses amies et cela a été une si belle communion, réunion. Elle nous a rassemblé et je crois de là où sa conscience était, elle devait être si triste de ne pas avoir réussi à nous réunir ma sœur et moi… jusqu’au bout, jusqu’à ses funérailles et jusqu’à après ses funérailles… J’avais l’impression que tout ce que ma sœur faisait, disait, projetait n’avait de cesse que tester ma patience, ma capacité à rester centrée, à ne pas attaquer, à laisser glisser, à lâcher prise.
Ma sœur souhaitait reprendre le travail. Vers la mi-décembre, je prenais le relais au chevet de ma Maman. J’imaginais que les fêtes de Noël allaient nous rassembler autour de notre Maman… le dernier Noël avec elle… Ma sœur et moi partagions, enfin, cette même intention. Mais, rien ne se passa de cette façon. J’avais l’impression qu’à chaque pas pour passer des moments ensemble, le fossé se creusait encore plus et c’est un abîme qui me séparait de ma sœur. Je ne rentrerais pas dans les détails d’une guerre qui comme toutes les guerres est moche. Comme dans beaucoup de guerre, je défendais mes positions et ma sœur était l’ennemi. J’étais bien sûr dans le camp des gentils et elle dans celui des méchants. Comme dans toutes les guerres que j’ai menée, je cherchais des alliés pour les inciter à prendre partie, à me comprendre, à me soutenir, me dire que j’ai raison.
Heureusement, personne n’a joué le jeu en jetant un peu plus d’huile sur le feu… J’ai eu la chance d’être très entourée et de trouver des oreilles attentives qui ont été autant de clés pour désamorcer là où l’ego voyait dans le comportement de ma sœur une n-ième menace qui justifiait, à ses yeux, largement d’allumer la mèche du bâton de dynamite.
Ce recul était bienvenu : une trêve entre deux batailles pour me recentrer sur l’essentiel : laisser glisser, lâcher prise, être là juste là et arrêter de comprendre, arrêter d’être d’accord ou pas d’accord.
Pour autant, je sentais bien que l’équilibre était précaire et que tout pouvait basculer. Ma sœur me faisait peur : je la voyais comme ce monstre odieux et méchant dont le comportement était aussi incompréhensible qu’imprévisible.
Je me confiais aussi à ma Maman et la rassurait quant à mes relations avec ma sœur. J’imaginais sa tristesse et aussi son envie de nous voir unies, en communion toutes les trois… J’imaginais aussi son détachement et son sourire bienveillant pour me dire que « rien n’est grave ni sérieux… » Je regardais le plafond, je tenais ses mains et me laissais submerger par tout son Amour de nous. Je lui promettais d’avoir la force de rester attentive, vigilante, présente pour ne plus me faire doubler par Ego, ce chien hargneux toujours prêt à bondir sur tout ce qui bouge.
Si j’arrivais à le tenir un moment, la laisse finissait par céder à ma vigilance au bout de quelques minutes. J’imagine que c’est un progrès même si je vois Ego entrain d’attaquer une nouvelle fois et moi loin derrière entrain de le regarder sans savoir que faire, les yeux au ciel, désespérée de m’être encore fait une fois encore dépassée…
« Il n’est pas possible de comprendre le monde en étant manichéen : pour ou contre » - Hayao Miyazaki -
Il a fallu m’éloigner, reprendre ma vie chez moi, laisser passer du temps pour pouvoir déposer les armes et prendre conscience que la guerre tout court n’est pas juste. Elle n’est pas juste car elle part d’un postulat erroné : « Au nom de ce que je suis, j’ai le droit d’attaquer pour défendre ce qui est juste. » Ce postulat suggère implicitement, cet autre postulat : « Ce que je suis EST juste et donc tout ce qui n’est pas en accord avec ce que je suis est FAUX. » qui implique de nier tout ce qui n’est pas en accord avec mes valeurs et tout ce qui me définit.
Cela est délirant n’est-ce pas? Et pourtant, c’est bien ce que je fais… que NOUS faisons tous quand nous jugeons… Lorsque nous jugeons, nous ne jugeons pas l’autre mais nous nous définissons. : “Cette personne n’est pas...” implicitement cela veut dire “MoÂ, je ne suis pas comme elle.”
Déclarer ce qui est bien et ce qui ne l’est pas… c’est ainsi que commence toutes les guerres…
Déclarer la guerre au nom de ce que nous pensons être bien… au nom de la paix… voilà l’absurdité d’un monde dominé par l’Ego…